Pendant la Nuit Blanche 2024, on découvrait, suspendue dans les airs à l’Académie du Climat, l’une de ses œuvres : une gigantesque baleine blanche en textile, tachetée de noir. Fruit d’une collaboration avec l’artiste designer Mehdi Cibille, Marée Noire, faisait écho au pétrolier l’Erika, échoué au large des côtes bretonnes, en 1999. Autodidacte, Héléna Guy Lhomme a découvert la laine pendant le confinement de 2020. Elle expose cette année un crocodile albinos paré d’un camaïeu de laine à la biennale Révélations au Grand Palais.
Coup de foudre textile
Diplômée de l’École du Louvre, d’HEC, et titulaire d’un master de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, Héléna Guy Lhomme découvre la laine pendant la pandémie de Covid-19, de retour en France après 4 années d’expatriation en Russie : « J’avais ramené un petit kit créatif pour enfant et j’ai eu une intuition, cette matière me parlait ». À Moscou, elle avait développé une pratique artistique auprès d’artisans et d’artistes russes, un apprentissage informel sous forme de compagnonnage. Elle s’exprimait alors en céramique et en bronze. Mais sa rencontre avec la laine a radicalement modifié sa pratique. Depuis elle expérimente et invente de nouveaux langages.
Héléna Guy Lhomme créé des sculptures textile en laine cardée pour les collectionneurs particuliers mais aussi les musées et les décorateurs © Zoé Forget, Lainamac
Une matière aérienne et mouvante
« Ce que j’aime avec la laine, c’est qu’elle ne rentre dans aucune case : lorsque l’on veut la comprimer, elle sort, elle s’échappe, elle coule, explique Héléna Guy Lhomme, et moi je me définis comme un transfuge. » Son processus créatif n’est jamais terminé, il est mouvant. La couleur également. Elle travaille avec des balles de laine colorées qui lui donnent la sensation de travailler au cœur d’un arc-en-ciel. Et la légèreté de la laine lui confère une facilité de transport. Héléna Guy Lhomme utilise de la laine cardée : après la tonte, le triage et le lavage de la laine, l’opération de cardage consiste à aligner les fibres et brosser la laine, afin d’obtenir une matière aérée qui peut ensuite être filée.
Composition d’agrumes, détail, laine cardée, 2023 © Héléna Guy Lhomme
« L’unique instrument dont j’ai besoin, décrit-elle, c’est une aiguille à feutrer. Au bout, il y a des aspérités qui fonctionnent comme des harpons et viennent attraper les fibres, et qui les mélangent quand je pique dans la matière. On peut entendre le son des fibres qui se mélangent, c’est très méditatif comme action. Quand je crée, je retrouve les mêmes sensations que quand je faisais de l’argile. C’est une question de patience et de visualisation mentale de la forme qu’on veut obtenir, cela demande de la pratique. »
Les œuvres ChA.I.r et Pietà présentées en 2023 à la galerie Joseph à Paris © Zoé Forget, Lainamac
Natures mortes et nature à protéger
Ses créations puisent leur inspiration des natures mortes hollandaises et des clairs-obscurs espagnols. Ce sont des œuvres engagées qui questionnent les problématiques actuelles telles que la surconsommation, l’écologie, et notre place dans le vivant. Elle utilise des fibres textiles recyclables et des teintures végétales uniquement.

Tête de saumon, 2022, laine et laine upcyclée © Nicolas Brasseur
Pour la biennale Révélations, elle a imaginé puis dessiné en deux dimensions un cercle parfait représentant un immense crocodile qui se mord la queue. Ce sont six mois de fabrication, de rencontres et de collaborations qui se sont tissées autour du projet. Le résultat : un alligator blanc, dit albinos – un reptile rarissime en voie d’extinction – habillé, en partie, d’une myriade de couleurs, sélectionnées chez l’entreprise de teinture végétale Couleur Garance.
Do not swallow, 2025, laine cardée, teinture végétale sur armature d’acier, 160 x 160 cm © Héléna Guy Lhomme
Une création à plusieurs mains
La peau de l’animal en laine peignée épouse une structure métallique façonnée en collaboration avec l’artiste designer métal Michael Pohu, pour accrocher la sculpture au mur. Une fois cette forme en laine peignée tendue de laine cardée, elle travaille cette dernière comme un peintre avec des glacis. La surface de la peau de l’alligator a été conçue comme un tableau, à chaque centimètre se décèle une richesse de couleurs, déclinées en camaïeu.
Do not swallow, détail, 2025, laine cardée, teinture végétale sur armature d’acier, 160 x 160 cm © Héléna Guy Lhomme
Les dents de l’animal sont en cuir gainé sur des structures en bois, fabriquées par l’artisane Sofia Shazak, dont l’atelier de sellerie d’art est voisin de celui d’Héléna Guy Lhomme. Elles sont toutes deux installées au Jardin des métiers d’Art et du Design à Sèvres, un accélérateur pour créer des ponts avec d’autres créateurs. Chacune des pièces raconte l’histoire de ces rencontres. « J’aime que la pièce s’enrichisse du métier d’autrui et la laine me conduit naturellement vers l’autre ».

Héléna Guy Lhomme travaillant sur son crocodile de laine dans son atelier au Jardin des métiers d’Art et du Design à Sèvres © Héléna Guy Lhomme
Aujourd’hui, des métiers d’art séculaires deviennent des métiers rares !
« Connaissance des Arts » défend depuis dix ans ces métiers souvent méconnus, au carrefour de la main et de l’esprit, de l’artisanat d’art et de la création.
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